TL;DR Aujourd'hui, on va parler de colonialisme numérique et de gros robots.
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Je ne veux pas voir Johnny Depp sur TikTok
Johnny Depp a marqué mon adolescence. J'ai grandi à l'apogée de sa carrière, au début des années 2000. Il était partout au cinéma, à la télévision, mais aussi sur les posters décorant les chambres de mes amies, ou bien caché dans les pages de leur agenda. Il faisait partie de nos nombreuses obsessions (de mon côté j’admets une sacrée fixette pour Orlando Bloom), que nous cultivions à coup de stickers pailletés et d'histoires écrites en pouffant dans nos carnets secrets, pour de rire, ou peut-être pas tout à fait.
Récemment, Johnny Depp est réapparu dans ma vie. Sur TikTok, Twitter et Reddit, j'ai soudainement été cernée par des vidéos de lui au tribunal. L'acteur américain est impliqué depuis plusieurs années dans une bataille judiciaire particulièrement violente avec son ex-femme, Amber Heard. Vous pouvez lire un résumé de ces évènements (en anglais) par ici. La version courte est que Johnny Depp est accusé par son ancienne partenaire de violences conjugales répétées. L'acteur conteste ces accusations, et a porté plainte pour diffamation, réclamant 50 millions de dollars à Amber Heard. Cette dernière a engagé une contre-poursuite, pour 100 millions de dollars, accusant son ex-mari d'une campagne de dénigrement. C'est ce procès qui se tient actuellement dans l’État de Virginie, aux États-Unis. Sa particularité est qu'il est filmé, permettant à des millions d'internautes de le suivre en direct, et surtout d'y réagir sur les réseaux sociaux.
Or, et cela m'a surprise, les réactions semblent être en grande majorité en faveur de Johnny Depp. TikTok est le centre névralgique de ces contenus, où se mêlent des extraits du procès, montés de manière dramatique, des vidéos conspirationnistes censées prouver les mensonges d'Amber Heard, des internautes (surtout des femmes) s'émouvant du désarroi supposé de Johnny Depp. Comme le souligne la newsletter Garbage Day (en anglais), les auteurs et les autrices de ces contenus sont un étrange mélange : des fans de Johnny Depp de la première heure, des militants antiféministes et anti-trans (Johnny Depp a été remercié de la franchise de films Fantastic Beasts, entraînant la colère de certains fans extrémistes de Harry Potter, qui soutiennent notamment les propos transphobes de J.K Rowling). Bref, un sacré bazar, auquel s'ajoutent pas mal d'opportunistes, qui veulent surfer sur le sujet viral du moment. Une marque de maquillage a par exemple fait une vidéo sur TikTok (vue plus de cinq millions de fois en quatre jours) pour remettre en cause l'un des arguments d'Amber Heard, le tout sur une petite musique amusante.
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"Les gens regardent un procès comme s'il s'agissait d'une série Netflix, en live-tweetant, en faisant des fancams et des vidéos de réactions, en allant au tribunal comme si c'était une avant-première, et pendant ce temps des marques font des TikTok sur le sujet ... ce n'est pas un comportement normal."
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Comme souvent lorsque l'on examine des phénomènes en ligne, il y a ici des choses nouvelles et d'autres très anciennes. La culture des tabloïds, le traitement médiatique et judiciaire désastreux des violences conjugales, les débordements de fans, la fascination pour les procès de stars, et plus généralement la misogynie (y compris celle des femmes), tout ça n'est pas propre à internet. Mais ce que je trouve intéressant, et déprimant, avec le procès Depp - Heard, c'est qu'il est aussi à la croisée d'enjeux beaucoup plus récents. Déjà, les jeunes internautes ne sont pas forcément plus avancé·es que nous sur les questions du féminisme et des progrès sociaux. Ensuite, les fandoms sont capables d'utiliser leurs outils numériques ultra-viraux pour faire des choses "bonnes" (en tous cas selon nos valeurs personnelles), mais peuvent tout à fait exploiter les mêmes techniques pour harceler quelqu'un ou propager de la désinformation.
Enfin, il faut s'intéresser au fonctionnement de TikTok, une application qui met beaucoup l'accent sur la recommandation algorithmique, pour nous conseiller des contenus susceptibles de nous plaire, et aussi qui plaisent à des personnes similaires à nous. On n'a pas besoin de s'intéresser à Johnny Depp pour soudainement être submergé·e par des vidéos concernant son procès. Il suffit d'être une jeune femme, probablement de s'intéresser à la pop culture et/ou aux contenus de true crime.
Je crois que c'est l'élément le plus important de cette affaire : notre envie de tout résoudre au travers d'enquêtes collectives, et de se sentir impliqué·es dans des évènements qui nous dépassent. C'est un phénomène qui s'est illustré à de nombreuses reprises ces derniers mois, parfois pour des affaires très graves, d'autre fois pour créer des conspirations absurdes sur des sujets qui ne le méritent pas du tout. Dans ce cadre, tout peut être transformé en contenu à détricoter, sans échelle de valeur particulière. Peu importe que l'on débatte d'un meurtre, de soupçons de plagiat par une chanteuse, d'une recette de cuisine à tester, qu'une femme accuse son ex-mari célèbre de l'avoir battue. Ce comportement est encouragé par le design même de TikTok, qui écrase tout contexte, et nous décourage même d'échanger avec d'autres internautes. "TikTok n'est pas une application conçue pour vous faire dialoguer avec les autres. Elle est conçue pour la répétition", écrivait récemment The Atlantic. "TikTok ne veut pas que vous laissiez un commentaire sur une vidéo. Il veut que vous fassiez votre propre contenu à partir de cette vidéo." Voilà peut-être le futur de nos vies en ligne : des contenus qui tournent en boucle (la chercheuse française Laurence Allard parle même "d'algo-ritournelle") et qui deviennent nos obsessions à la fois collectives et personnelles. Sauf que cela ne se passe plus que dans nos têtes et le mur de nos chambres, mais aussi sur le web et dans le monde.
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IA et (dé)colonialisme
Je débute cette revue de presse par un sacré morceau ! Le MIT Technology Review a publié la semaine dernière un dossier touffu sur le néocolonialisme des IA : comment l'intelligence artificielle imposerait petit à petit un nouvel ordre colonial, c'est-à-dire l'exploitation de personnes et de ressources (en l’occurrence, des données) pour le profit financier d'un petit groupe de dominant·es. Cette idée est partagée par de nombreux expert·es, et illustrée par plusieurs cas concrets, en Afrique du Sud, au Venezuela, en Indonésie ou chez les Maoris de Nouvelle-Zélande. C'est passionnant, et c'est à lire (en anglais) par ici.
Des nouvelles d'un homme censuré
Petite (grosse) info concernant la newsletter de la semaine dernière : Elon Musk est désormais propriétaire de Twitter ! Uh oh ! Si vous avez loupé le début de cette saga, vous pouvez lire un résumé de l'affaire du côté de Numerama. Et je vous recommande au passage cet édito, par la rédactrice-en-cheffe de Numerama, qui se pose une question finalement pas si bête : si la modération de Twitter est si stricte, pourquoi n'a-t-elle pas déjà banni le compte d'Elon Musk, qui en a déjà brisé plusieurs fois les règles ? C'est à lire par là.
3D > 2D
On a déjà discuté ici des vtubbers, ces personnes qui animent des streams vidéo grâce à des avatars virtuels, souvent inspirées par la pop culture japonaise. C'est le cas d'Ironmouse, connue pour ses cheveux roses (en 3D) et sa voix suraiguë, et qui a récemment brisé le record de la streameuse la plus suivie sur Twitch. Il s'agit du double de pixels d'une jeune femme originaire de Porto Rico, dont la grave maladie immunitaire l'a forcée à une quasi-solitude chez elle, et qui voit en son stream une manière de rester connectée au monde. Ce portrait est à lire (en anglais) sur le Washington Post.
Lean in
Sheryl Sandberg, numéro 2 de Meta (Facebook), aurait fait pression sur un tabloïd anglais pour ne pas publier un article concernant sur son ex-petit ami, condamné par le passé à une injonction d'éloignement par une femme qui l'accusait de harcèlement. Ces faits, déjà choquants si avérés, sont aggravés par plusieurs éléments de contexte. L'ex petit-ami de Sheryl Sandberg n'est autre que Bobby Kotick, PDG d'Activision Blizzard, le géant américain des jeux vidéo en pleine tourmente concernant plusieurs affaires de harcèlement sexiste. En outre, Sheryl Sandberg a construit une partie de sa notoriété autour de son engagement féministe, et aurait justement craint que l'affaire n’entache sa réputation. Tout ça est à retrouver dans une longue enquête publiée par le Wall Street Journal, à lire (en anglais) par ici.
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Quelque chose à lire/regarder/écouter/jouer
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J'adore les histoires de gros robots. Il y a quelque chose de réconfortant à suivre les aventures de frêles humain·es endossant une immense armure de métal pour affronter des menaces diverses (extra-terrestres, monstres, etc), quand on se sent soi-même impuissant·es face aux dangers tout aussi grands de notre monde réel. Il était donc prévisible que 13 Sentinels : Aegis Rim, un jeu vidéo qui met en scène des adolescent·es se battant contre des kaijus à l'aide d'armures robotisées, me plaise. Nos treize héros et héroïnes vivent à différentes périodes de l'Histoire japonaise, entre 1945 et 2105. Leur point commun : leur quotidien va être bouleversé par l'arrivée de "Deimos", d'immenses machines venues détruire la Terre.
Si je devais résumer 13 Sentinels : Aegis Rim en un mot, il s'agirait probablement de "chaotique". Le jeu se divise en trois modes : bataille (qui nous permet d'affronter les deimos, sous la forme de combats en tour par tour), histoire (où l'on progresse dans le scénario de chacun des protagonistes, sous le format d'un visual novel à la japonaise), et les archives, sorte de wiki du jeu où l'on peut débloquer des informations pour mieux comprendre les évènements. Le résultat est, au départ, un peu déroutant. Mais finalement, j'ai beaucoup apprécié la liberté accordée par le jeu, me permettant de progresser à mon rythme et d'alterner les modes en fonction de mon humeur. Surtout, 13 Sentinels : Aegis Rim est parvenue à me prendre par surprise. Derrière le vernis confortable, et sans doute un peu banal, d'une énième histoire de fin du monde, se cache une histoire avec de nombreux détours inattendus. Les gros robots seront-ils vraiment notre salut ?
13 Sentinels : Aegis Rim, disponible sur PlayStation 4 et Nintendo Switch.
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Lucie Ronfaut est journaliste indépendante spécialisée dans les nouvelles technologies et la culture web. Vous pouvez suivre son travail sur Twitter.
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